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Me
voici !
"Me
voici", voilà une expression que tout le monde connaît et comprend, mais
qui n'est pourtant presque jamais employée, comme si elle ne convenait pas à
un usage courant. "Me voici" ne se prononce qu'en réponse à autrui ;
on ne peut pas imaginer un "Me voici" prononcé par quelqu'un qui soit
seul, sans vis-à-vis. S'il est réponse, il doit être réponse à une question
de l'autre, même non formulée, réponse à un appel de l'autre (...). Le sujet
se présente lui-même, "s'auto-présente", il se place en face de
l'autre en tant que sujet. Il fait même plus que se présenter, il se livre à
autrui, sans défense, tel qu'il est. Il se dépossède en quelque sorte de
lui-même pour se mettre à la disposition de l'autre : "Me voici !"
C'est peut-être pour cette raison que personne n'utilise cette expression, elle
est beaucoup trop forte, elle implique beaucoup trop le sujet qui la prononce.
Et sans réfléchir plus loin, le sujet humain la bannit de son langage, de peur
d'avoir véritablement à se livrer un jour à autrui. Si, dans le
langage oral, on ne la rencontre pas, cette expression se trouve dans le langage
écrit. Je pense à la Bible où elle apparaît à plusieurs reprise. Ce sont
des hommes qui répondent à Dieu, qui se mettent à sa disposition. Abraham, selon le
récit rapporté en Genèse 22, a été, un jour, appelé par Dieu. Avant de
savoir ce que Dieu avait à lui dire, Abraham répond déjà "Me
voici". Et quand Dieu lui demande de prendre son fils unique, Isaac, pour
l'offrir en sacrifice, il le fait. Abraham a osé répondre "présent"
quand Dieu l'a appelé, il a osé se livrer à Dieu, et cela de manière
inconditionnelle, puisqu'il va jusqu'à offrir ce qu'il avait de plus précieux,
son fils. Quand Isaac lui pose une question, il se met aussi à sa disposition
en répondant également "Me voici". Sur le point de sacrifier son
fils, il répond encore "Me voici" à l'Ange de l'éternel qui
l'appelle pour l'empêcher de sacrifier son enfant. Abraham faisait confiance à
Dieu, c'est pourquoi il a osé lui répondre "Me voici", même pour
une action terrible. Le sujet qui répond "Me voici" doit avoir
confiance en l'autre, sinon ses paroles n'ont pas de sens. (...) Moïse s'occupant
de ses troupeaux dans le désert est aussi interpellé par Dieu, à qui il répond
de même "Me voici" (Ex. 3. 4). Après que Moïse a répondu "Me
voici", Dieu lui demande d'accomplir la grande tâche de faire sortir le
peuple du pays d'égypte, et Moïse a de la peine à assumer son "Me
voici", sa mise à disposition de Dieu : il refuse le service qui lui est
confié et argumente avec Dieu. Mais il s'était livré en se présentant à
Dieu et en répondant à l'appel ; on sait qu'il a accompli par la suite ce que
Dieu lui avait demandé. Le jeune Samuel,
couché dans le temple, entend aussi l'appel de son nom et il court vers le
sacrificateur Eli et lui dit "Me voici", croyant que c'est Eli qui
l'avait appelé (1 Sam. 3. 2-14). Son rôle était de servir dans le temple, et
il accomplit scrupuleusement sa tâche, à la disposition d'Eli, de jour comme
de nuit. Comprenant ensuite que c'est Dieu qui l'appelle, il répond :
"Parle, car ton serviteur écoute". De cette manière, il se met à la
disposition de Dieu (...). Plus tard dans sa
vie, Samuel répète un "Me voici", mais cette fois pour répondre au
peuple (1 Sam. 12. 3). Il vient d'établir Saül roi, et il se retire en quelque
sorte de sa charge de conducteur du peuple. Et c'est avec un "Me
voici" qu'il se présente devant Israël : il se livre au jugement du
peuple, il se "sous-met" à son jugement, en position d'infériorité,
pour bien montrer qu'il quitte sa position de dirigeant. Le prophète ésaïe,
lors d'une vision, répond à une question de Dieu : "Qui enverrai-je
?" (Es. 6. 8). Sa réponse est claire : "Me voici, envoie-moi".
Au-delà des paroles du prophète qui montrent son engagement pour Dieu, ces
paroles peuvent être appliquées prophétiquement à Jésus qui a effectivement
été envoyé par son Père, et il est venu. Le Psaume 40, cité aussi en Hébreux
10, rend la même idée : "Voici, je viens pour faire ta volonté" (Héb.
10. 9). D'autres passages du N. T. montrent que Jésus, en venant sur la terre,
s'est livré à la volonté de Dieu d'une part, et au pouvoir des hommes d'autre
part, en se laissant clouer sur une croix. C'était un parfait abandon de soi,
il n'a pas recherché son propre intérêt, tout ce qu'il faisait était dans la
dépendance de son Père (...). Le "Me
voici" peut être considéré dans la perspective de celui qui s'abandonne
lui-même, qui se met à la merci de l'autre (...). Dans l'exemple d'Abraham,
pour dire "Me voici", il faut avoir confiance en la personne à qui on
répond. Dans la Bible, toutes les personnes qui ont répondu à Dieu "Me
voici" avaient confiance en Lui. En se plaçant à sa disposition, elles se
mettaient sous son jugement, mais aussi sous sa grâce, dans une confiance
totale que Dieu serait juste et bon à leur égard (...). On a vu que le
"Me voici" était essentiellement une réponse à un appel d'autrui,
ce qui signifie que le sujet a forcément un vis-à-vis. Le "Me
voici", en tant que sujet qui se livre, place l'autre en premier, avant
lui-même, car il se met au service de l'autre (...). Peut-être que la vie véritable
se trouve quand le sujet parvient à dire "Me voici", quand il accepte
de se livrer, en plaçant l'autre supérieur à lui-même, quand il accepte la
relation avec autrui, la relation avec Dieu. Carine
Gfeller (extrait d'une dissertation) |
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